Entre la détresse obscure et le côté lumineux de la vie, au coin du feu de la mémoire, surgissent les histoires. Elles parlent des temps anciens, de luttes épiques, de mille morts et de massacres ; mais, après un long et dur chemin, elles narrent une naissance.
La Terre des hommes rouges
Corumbiara, they shoot Indians don't they
Suma Qamana, Sunak, KausayTeko Kari (For a Better Life)
Depuis quand ressent-on l'obligation de répondre
correctement au lieu de répondre honnêtement ?
No More Smoke Signals
The Last Explorer
El Juicio de Pascal Pichun
Acteal, diez anos de impunidad
La Terre des hommes rouges, film d'ouverture de la sélection 2009 de Présence autochtone, relate la mort lente des Guaranis exilés et marginalisés dans le Sud-ouest brésilien livré à la colonisation et à la coupe systématique de la forêt. À cette agonie, les jeunes préfèrent parfois en finir au plus vite. Mais les chefs de la nation leur offriront le combat en alternative. Malgré les milices qui sèmeront la mort au cœur même de la résistance, c'est à l'émergence d'un nouveau leader qu'on assistera quand Oswaldo, l'apprenti chamane, prendra finalement son essor.
Si ce scénario de fiction se passe aujourd'hui, c'est qu'il s'inspire d'événements bien contemporains. En témoigne, présenté en première canadienne, Corumbiara, they shoot Indians don't they, le dernier film de Vincent Carelli, l'homme qui a dirigé le projet Vidéo nas Aldeias (l'équivalent d'un Wapikoni mobile brésilien). Celui qui aura permis l'expression de la voix indigène de son pays par les moyens de la vidéo, révèle ici une autre face de son travail de terrain (et, fait inusité, parle à la première personne). Devant les tribunaux brésiliens, les documents filmés peuvent servir d'éléments de preuves pour faire décréter une zone protégée, dite ethno-environnementale, en prouvant l'existence d'Indiens habitant ces dits territoires. Or ces Indiens, victimes de massacres et d'exaction fuient systématiquement les étrangers. Commence alors pour le cinéaste et son équipe une véritable traque des fugitifs afin d'assurer leur survie en entrant en contact avec eux ; avec, en arrière-plan, l'hostilité non dissimulée des grands propriétaires terriens qui veulent s'accaparer le territoire et qui ont planifié en douce l'extermination de ses premiers habitants. Ce filmage extrême pour fin légale nous donne des scènes parmi les plus saisissantes de l'histoire du cinéma documentaire par ce rapport tendu entre le sujet (des humains en danger de mort) et la caméra qui chasse impitoyablement pour mieux sauver. Et le film se termine sur l'image d'une femme chantant une berceuse à son enfant dans une langue citée au catalogue des idiomes disparus dans les bibliothèques savantes de Brasilia et de Rio.
Autre histoire de naissance, L'éveil du pouvoir donne la parole aux leaders autochtones d'aujourd'hui (dont Gislain Picard, chef de l'APNQL) qui ont fréquenté dans leur tendre jeunesse le Collège Manitou de La Macaza. Même si leur alma mater est aujourd'hui fermée, l'espoir qui a vu le jour là-bas perdure dans l'affirmation contemporaine des peuples premiers et dans la présence sur la scène politique des leaders qui y auront trouvé leur vocation. Du côté Nouveau-Brunswick, c'est un peintre acadien qui est allé à la rencontre des chefs mi'gmaq et malécites, une rencontre qui est devenue une histoire de grandes amitiés qui nous est donnée à voir dans Donald McGraw et le Cercle des chefs.
Si dans Humiliados et Offendidos, on voit les attaques dégradantes dont les autochtones boliviens ont été victimes lors d'émeutes organisées par la droite à Sucre, Suma Qamana, Sunak, KausayTeko Kari (For a Better Life) inscrit ces événements dans la longue marche de la Bolivie vers l'instauration d'une véritable démocratie menant, suite à l'élection de Evo Morales, à l'adoption d'une nouvelle constitution qui rend aux Premières Nations la place qui leur revient.
Volet sombre, les massacres et l'exode ; volet lumineux, le pouvoir de se prendre en main. Et, pour passer de l'un vers l'autre, c'est la rencontre décisive avec un maître ou une institution d'enseignement qui amène un tournant décisif dans la vie d'un individu.
Alanis Obomsawin, la plus amérindienne des cinéastes, s'est attachée à décrire l'itinéraire passionné d'un enseignant exemplaire capable de semer l'espoir d'un futur meilleur dans la pratique même de son métier dans Professeur Norman Cornett : Depuis quand ressent-on l'obligation de répondre correctement au lieu de répondre honnêtement ?, présenté en première montréalaise.
Sur un thème similaire, Sikuelachi, court sujet sur une école rurale au Mexique, décrit une réalité rieuse. Qui s'avère tout à l'opposé pourtant de celles des enfants (la plupart Indiens ou métis) qui travaillent dans les grandes plantations horticoles du même pays ; une réalité honteuse dévoilée sans hypocrites attendrissements dans deux documentaires, Los Herederos et Migrar o Morir.
Sur la réserve de Pine Ridge c'est la radio communautaire qui permet aux jeunes de s'affirmer et de se découvrir. Presque sans ressources, avec des bouts de ficelle, les animateurs de Kili Radio « la Voix de la nation lakota » poursuivent leur tâche avec une foi inébranlable en leur mission. No More Smoke Signals nous plonge dans la réalité d'une des réserves les plus pauvres (économiquement) des États-Unis, avec une jeunesse qui se cherche un futur.
Les histoires se racontent. Et dans leur déroulement même, elles finis-sent par écrire une autre Histoire, celle vécue par les peuples premiers, trop souvent rejetés et oubliés de l'histoire officielle.
Dans The Last Explorer, le réalisateur Neil Diamond se livre à un travail d'enquête pour révéler l'histoire véridique d'un Cri qui fut le guide de plusieurs fameux explorateurs du Nord ; le film démontre cette vérité bien connue comme quoi la réalité des faits dépasse bien souvent la fiction dont on les aura travestis.
Autre documentaire, El Juicio de Pascal Pichun démonte les rouages d'une justice chilienne encore engluée dans les lois de Pinochet. Suite aux pressions d'un grand propriétaire terrien, un leader mapuche qui a osé parler de droits territoriaux, se voit accuser de terrorisme ; les scènes filmées dans le prétoire même sont, à proprement parler, incroyables (de quoi nous faire regretter que ce type de filmage ne soit pas possible au Canada).
Acteal, diez anos de impunidad, filmé au Mexique par un cinéaste tzotzil, raconte aussi l'histoire d'un massacre célèbre alors que les responsables n'ont jamais été poursuivis en justice, fusse pour terrorisme (alors que là, oui, une telle accusation eut été justifiée !).
Wounded Knee pour sa part revient sur les lieux du fameux massacre de 1890, pour nous raconter l'histoire plus récente de l'occupation du lieu menée en 1989 par des traditionnalistes lakota avec l'appui des activistes de l'American Indian Movement. On y voit l'émergence d'une conscience nouvelle chez les peuples autochtones d'Amérique à travers les soubresauts de la lutte pour la reconnaissance de leurs droits.
Une cabane désolée où vivent misérablement une vieille femme aborigène et son fils malade est le point de départ du réalisateur australien Vincent Ward qui y découvrira tout un pan de l'histoire de son pays qu'il déploie dans toute sa grandeur tragique dans Rain of the Children.
Du côté fiction, The Only Good Indian revisite le western en racontant l'histoire d'un jeune fugitif de l'école résidentielle et de ceux qui le pourchassent : un chasseur de primes lui-même Amérindien (Wes Studi) et un cowboy aux visées plus inquiétantes.
Et d'autres voix se lèvent poursuivant inlassablement les récits et reprenant les mots des rêves esquissés par les générations précédentes de conteurs.
Une Maorie de l'arrière-pays néozélandais envisage de devenir actrice comme son idole... Marilyn Monrœ, dans River of no Return. Un jeune Guarani dépeint, avec la fougue de son âge, la marginalisation des siens au Brésil, dans un document, Two Villages, One Path, qui pourrait être vu comme un pendant documentaire à La Terre des hommes rouges aussi présenté cette année.
Ici, comme au Brésil, une jeunesse inquiète, incertaine du futur (Entre l'arbre et l'écorce), se connecte au savoir des aînés pour que survivent les langues (Finding our talk : Anishinabe ; Finding Our Talk : Mi'gmaq) et que se continuent la transmission des valeurs (360 Degrees ; Mon père, cet artiste).
Et ces voix nouvelles se rejoignent et se conjuguent : des jeunes autochtones d'ici ont rencontré d'autres jeunes des Premières Nations d'Amérique (voir à ce sujet le très beau Des forêts de Kitcisakik aux forêts de Xingû de Evelyne Papatie). Présence autochtone 2009 se tient ainsi à la convergence d'une renaissance de cultures fragilisées par l'histoire mais qui reprennent vie dans l'effervescence d'un siècle nouveau, annonciateur de mutations.