Un été Premières Nations

De la Grande Bibliothèque à la Guilde canadienne des métiers d'art, en passant par le Musée McCord, Terres en vues et ses collaborateurs proposent une audacieuse exploration de l'imaginaire des artistes des Premières Nations. Des univers riches et variés dévoilés par les sept créateurs de l'exposition Patrimoine écrit des Premières Nations, présentée à la Grande Bibliothèque, aux métamorphoses des mythes et légendes sculptés par les artistes Inuit de Nous sommes du Nunavik, produite par la Guilde canadienne des métiers d'art, c'est un parcours fabuleux qui se déroule sous nos yeux. L'aventure reprend de plus belle dès les portes du Musée McCord franchies tant les oeuvres de Robert Davidson qui y sont exposées sont prodigieuses et viennent changer nos perceptions de l'art des Premières Nations de la Côte Ouest.


Le patrimoine écrit des Premières Nations : explorer, annoter, révéler

GRANDE BIBLIOTHÈQUE, COLLECTION NATIONALE, NIVEAU 1
DU 30 MAI AU 1ER OCTOBRE


La machine à explorer les signes,
Raymond Dupuis

Sept artistes des Premières Nations proposent des oeuvres qui entretiennent une relation étroite avec un ou des documents revêtant, pour ces artistes ou pour les membres de leur nation d'origine, un caractère fondateur. Des transcriptions ou des traductions en langues autochtones de textes marquants pour ces sociétés, auxquelles se joignent des traductions et des transcriptions en français ou en anglais de récits mythologiques, de contes, de légendes et de chants tirés de la tradition orale, constituent ce qui peut être appelé le patrimoine écrit des Premières Nations. Les démarches spécifiques des artistes apportent un éclairage contemporain à ce patrimoine écrit.

À partir d'un récit de Mathieu André sur la vie traditionnelle des Innus, Jean-Pierre Fontaine et Isabelle Courtois du collectif Ashukan ont imaginé un conflit des spiritualités qui aujourd'hui encore laisse une faille profonde dans le coeur de plusieurs. La connaissance de l'intérieur, pourrait-on dire, qu'avait Mathieu André des cérémonies sacrées des Innus a permis cette transmission livresque d'un héritage issu d'une tradition orale menacée de disparition après l'arrivée des missionnaires. Le bas-relief créé par Ashukan, sous son aspect morcelé de plaques flottant dans un espace indéfini rend bien compte de la déchirure ; les deux moitiés d'un cercle brisé se souderont-elles un jour afin qu'advienne une ère d'harmonie symbolisée par le cercle ?


Prophesy,
Pauline Lahache


La déchirure (détail),
Ashukan


Contes de la mythologie athapaskanne (détail),
Virginia Pésémapéo Bordeleau


Nature vivante javelisée (détail),
Georgette Obomsawin


Bonne nuit Eastman river,
Glenna Matoush


H.L. Masta (1853-1943),
Sylvain Rivard


Coiffe cérémoniale,
Pauline Lahache


Contes de la mythologie athapaskanne (détail),
Virginia Pésémapéo Bordeleau

Avec Prophesy, Pauline Lahache aborde un thème essentiel de la spiritualité mohawk. Le grand arbre de la paix demeure aujourd'hui encore un puissant symbole unificateur et constitue pour plusieurs, par la connaissance de ses significations, la voie de la paix, qui, pour les Iroquois, est la Loi. La figure de l'aigle au faîte de l'arbre nous rappelle qu'il ne peut y avoir de paix sans vigilance. Prophesy est une oeuvre paradoxale en ce sens que sa facture dorée à la feuille nous renvoie tout droit à une certaine statuaire catholique ; la question reste ouverte quant à savoir si l'artiste ironise ou non. La coiffe cérémoniale qui complète l'apport de Pauline Lahache est portée par un chef lors d'une cérémonie des condoléances tenue dans la Maison longue. Il s'agit donc d'un objet à caractère sacré dont la confection, du choix des matériaux jusqu'à la minutie dans l'agencement des motifs, est en soi une prière.

La Machine à explorer les signes de Raymond Dupuis est à la fois un télécopieur, un ordinateur, une photocopieuse, un projecteur et quoi d'autre encore, tout ça déréglé avec la précision d'un savant fou. Nourrie de pictogrammes hopi, la machine s'emballe et traverse les mondes et les époques, démontée comme on le dit d'une horloge. Ce qui en sort a bien rapport au temps : une sorte de xérographie du temps où les signes hopi se greffent au territoire urbain dans un présent perpétuellement éclaté, comme on le dit du rire.

Si Jacques Cartier n'a semblé voir que des bestes sauvaiges dans les animaux qu'il rencontre lors de ses voyages, Georgette Obomsawin s'est donnée des airs d'ornithologue en dressant l'inventaire des oiseaux de Cartier. Tout semble aller pour le mieux dans ce monde d'oiseaux, sages comme des images justement, sauf pour deux petites pierres tombales, près de la tourte et du grand pingouin, qui viennent perturber ce tableau idyllique. L'autre oeuvre d'Obomsawin nous plonge dans un univers halluciné où, par un étrange retournement, un bon chat domestique devient à son tour beste sauvaige.

Ce sont encore les animaux qui peuplent les contes que Virginia Pésémapéo Bordeleau a choisi d'illustrer. Caribous, renards, ours et castors mis à la marmite ainsi que le grand corbeau, le papillon et l'araignée sont tous soumis aux grandes lois du vivant. Leurs attributs et leurs tribulations donnent aux fables et aux légendes leur substance et leur emprise sur la réalité. Sans eux, le monde des humains ne serait que solitude et obscurité. Plus habituée aux grands formats et à la gestuelle de la peinture, Virginia Pésémapéo Bordeleau s'est frottée ici au patient travail de la gravure ; un climat d'introspection imprègne ses images habitées d'êtres hiératiques occupés à dénouer les mystères des mondes.

L'art hautement chamanique de Glenna Matoush, tant sa démarche est attentive à la souffrance des âmes, est ici confronté à la dévastation du territoire. Plutôt qu'un livre, Matoush a choisi de nous donner à lire une rivière. Bonne Nuit Eastman River est une oeuvre choc, un coup porté au développement aveugle. Pourtant, malgré ses ossements et l'âpreté de son traitement, il ne s'agit pas d'une oeuvre désespérée. La grande rivière perlée qui traverse la surface de la toile vient nous rappeler que c'est la vie qu'elle charrie d'un bout à l'autre du territoire. Entre le cri et l'invocation, une voix s'élève contre le silence de la dévastation.

L'artiste ethnologue Sylvain Rivard met à profit sa connaissance des techniques artisanales anciennes dans une oeuvre hommage à Henry Lorne Masta. Un panneau fait de frêne tressé et ponctué de signes teints et pyrogravés renvoie aux origines abénakises de Masta; des éléments accrochés au panneau renvoient à des faits marquants de sa vie. Au-delà de toute interprétation, cette oeuvre est un exemple parfait du constant souci de Rivard d'insérer les pratiques propres aux métiers d'art dans le monde de l'art contemporain. Ce qui peut sembler au premier abord être une vitrine ethnologique est en fait une installation, un espace de réflexion d'où émane le respect profond de l'artiste pour un homme qui a consacré sa vie à la culture et à la langue des Abénakis.

Ces sept artistes dessinent des parcours dont les jalons désarçonnent ; le déploiement des oeuvres dans les espaces restreints des vitrines d'exposition leur confère un caractère d'intimité qui permet des rapprochements inédits. Entre les dorures de Lahache et la rivière perlée de Matoush, en dehors du fait que ces artistes viennent des Premières Nations, quels autres liens se tissent entre leurs oeuvres et entre ces oeuvres et nous ? D'un artiste à l'autre, d'une oeuvre à sa voisine, on peut aller comme on tourne les pages d'un livre d'images, et c'est bien ainsi. On peut lire et relire entre les lignes, se perdre entre la légende et l'anecdote, se retrouver dans l'éclat du rire ou dans l'éclair de la déchirure. Ce que nous proposent ces artistes, pour paraphraser un autre beau titre, c'est une suite, leur suite du monde. Bonnes lectures.

LES ARTISTES

SYLVAIN RIVARD
« J'essaie, en utilisant des techniques anciennes, comme la vannerie, de créer un art ethnologique actuel plus près de l'identité autochtone et qui va au-delà du métissage culturel. Une question se pose ! Pourquoi laisser les artéfacts aux scientifiques et l'art aux artistes des Premières Nations quand un syncrétisme est possible ? »

ASHUKAN
« Dans son récit, Mathieu André parle tout autant des croyances ancestrales et des rituels sacrés des Innus que de la nouvelle religion apportée par les missionnaires catholiques. Il semble même se contredire car l'Église condamnait les rituels qu'elle considérait comme sataniques. Aujourd'hui, certains Innus convertis pensent effectivement que les rituels anciens ont quelque chose de malsain.

Nous avons voulu exprimer cette opposition des croyances et de pratiques tout en montrant qu'il aurait peut-être été possible que les deux courants de pensée puissent échanger sans se détruire. »

RAYMOND DUPUIS
Dans ses travaux récents, Raymond Dupuis explore ce qu'il appelle les territoires urbains. Ces collages photographiques montrent des lieux morcelés, attaqués de toutes parts par les couleurs et les signes qui animent la surface des tableaux. Sa Machine à explorer les signes, dévoile sous un mode fantaisiste la genèse de ses oeuvres actuelles. Plus sérieusement, elle rend compte de la persistance de ces signes inspirés des pictogrammes hopi dans l'oeuvre de Dupuis.

PAULINE LAHACHE
Les deux oeuvres de Pauline Lahache, lorsque mises côte à côte, étonnent tant elles semblent venir d'univers opposés. Pourtant, la magnifique coiffe cérémoniale et l'aigle sur son arbre de Prophesy sont issus de la spiritualité des Iroquois, source inépuisable d'inspiration pour l'artiste. La coiffe cérémoniale appartient à un chef et elle est portée lors de la cérémonie des condoléances qui est l'une des cérémonies de la Maison longue. Avec l'arbre de la paix et la Maison longue, nous sommes au coeur de la vie spirituelle des Mohawks; Pauline Lahache a voulu ici par ses oeuvres en souligner l'importance, en donnant à Prophesy certains des codes de l'iconographie chrétienne, et la persistance, dans la confection prégnante de foi profonde d'un objet à caractère sacré.

GEORGETTE OBOMSAWIN
« Le chat sauvaige serait le lynx roux. Dyn serait daim. Serf serait quant à lui un wapiti ou cerf du Canada. Aujourd'hui, le wapiti serait complètement disparu de nos régions.

Le 10 mai 1534, Jacques Cartier accoste à Terre-Neuve. Dès lors il sera très attiré par la faune plutôt que par ses habitants autochtones. »

VIRGINIA PÉSÉMAPÉO BORDELEAU
Des contes illustrés nous ouvrent le monde sans frontières des chamanes déné. Ours, renard, castor, huard, papillon et araignée peuvent transmettre leurs dons aux humains. Les chamanes tirent leurs pouvoirs de leurs contacts avec des personnes animales. Virginia Pésémapéo Bordeleau a réuni ses Contes de la mythologie athapaskanne à partir du livre Le rêve et la forêt, Histoires de chamanes nabesna de Marie- Françoise Guédon. Les contes nous parlent des besoins, des problèmes et même des erreurs de la communauté à laquelle ils appartiennent. L'artiste les a faits siens non comme on garderait un trésor mais par souci de les partager comme une révélation. La tranquillité apparente des images est trompeuse ; les chamanes y sont aux aguets. Malin-Castor l'apprendra bien assez vite.

GLENNA MATOUSH
Urgence, urgence, des crânes semblent hurler, les digues se sont refermées, cauchemar sous les barrages, des villages sont noyés, des territoires rayés de la carte, l'humanité désemparée allume la télé pour le match final, Glenna Matoush n'a pas tout lu sur la Paix des Braves, elle est allée là-bas et, un beau matin, une grande rivière a coulé dans son atelier de Montréal.


Nunavimmiuguvugut / Nous sommes du Nunavik

GUILDE CANADIENNE DES MÉTIERS D'ART
Du 25 mai au 30 juin 2006
1460, rue Sherbrooke Ouest, Montréal,
514 849-6091
HEURES D'OUVERTURE:
Mardi au vendredi : 10h à 18h
Samedi : 17h


Sans titre,
Serpentine,
Thomassie Echalook

« Les onze artistes invités à créer les oeuvres de cette exposition proviennent des villages de Inukjuak, Puvirnituk, Akulivik, Ivujivik et Kanqiqsujuak. Ils sont des créateurs aguerris dont les oeuvres sont connues et collectionnées au Canada et à l'étranger.

Ils furent choisis parmi la centaine d'artistes qui oeuvrent au Nunavik pour leur immense talent et leur professionnalisme et aussi parce qu'ils ont presque tous connu la vie d'avant les villages modernes et d'avant les moto-neiges : la vie des igloos, de la chasse et de la pêche, de la survie, celle aussi des légendes et des tabous.

Ils sont les témoins et les défenseurs de leur culture et le démontrent ici de façon éclatante. »

Maurice Achard, commissaire


Art haïda : les voies d'une langue ancienne

MUSÉE McCORD D'HISTOIRE CANADIENNE
Du 29 avril au 22 octobre 2006
690, rue Sherbrooke Ouest, Montréal, 514 398-7100
HEURES D'OUVERTURE:
Mardi au vendredi : 10h à 18h
Samedi et dimanche : 10h à 17h
Ouvert les lundis fériés et pendant la période estivale : 10h à 17h

Art haïda : les voies d'une langue ancienne, présentée au McCord du 29 avril au 22 octobre 2006, accompagnera l'exposition Robert Davidson : au seuil de l'abstraction, également présentée au Musée du 27 mai au 15 octobre 2006.

La collection haïda du McCord figure parmi les plus importantes et les plus anciennes en Amérique du Nord. L'exposition met en vedette plus de quatre-vingt pièces qui permettent d'entrevoir l'univers artistique et cosmologique de la culture haïda, dans sa splendeur comme dans sa complexité.

Au plan stylistique, l'expression artistique haïda peut être vue comme un langage formel qui s'appuie sur une sorte de grammaire visuelle, dont le vocabulaire est constitué de figures animales et de créatures mythologiques dépeintes selon un mode tantôt naturaliste, tantôt abstrait.


Robert Davidson - Au seuil de l'abstraction

MUSÉE McCORD D'HISTOIRE CANADIENNE
Du 27 mai au 15 octobre 2006
690, rue Sherbrooke Ouest, Montréal, 514 398-7100
HEURES D'OUVERTURE:
Mardi au vendredi : 10h à 18h
Samedi et dimanche : 10h à 17h
Ouvert les lundis fériés et pendant la période estivale : 10h à 17h


Rapace, 2003
Cèdre rouge et acrylique,
Robert Davidson

Cette exposition présente des peintures et des sculptures de cet éminent artiste haïda contemporain. Son ouvre a transformé notre compréhension de l'art et des pratiques culturelles des Premières Nations de la côte Nord-Ouest.

Une exposition itinérante réalisée par le Musée d'anthropologie de l'Université de Colombie-Britannique et mise en tournée par le Musée des beaux-arts du Canada.

SYMPOSIUM

« Au seuil de l'abstraction : Robert Davidson et la pratique contemporaine de l'art autochtone »

MUSÉE McCORD D'HISTOIRE CANADIENNE
Le vendredi 26 mai 2006
au Théâtre J.-Armand-Bombardier
en anglais et français
12h30 à 16h

CONFÉRENCIER PRINCIPAL : Robert Davidson

Organisé en collaboration avec la faculté des Beaux-Arts de l'Université Concordia et l'Institut de recherche en art canadien Gail et Stephen A. Jarislowsky, ce symposium réunira artistes, conservateurs et universitaires provenant de plusieurs provinces canadiennes qui discuteront de l'art contemporain autochtone.

CONFÉRENCIERS INVITÉS : Guy Sioui Durand, Mattiusi Iyaituk, Sylvie Poirier, Sherry Farrell Racette, Carmen Robertson


La broderie Shipibo-Konibo de la forêt amazonienne péruvienne

ÉCONOMUSÉE DE LA BRODERIE, LES BRODEUSES
5364, boul. St-Laurent
DU 8 JUIN AU 8 JUILLET
Mardi et jeudi : 9h30 à 18h
Jeudi et vendredi : 9h30 à 19h
Samedi : 9h30 à 17h

Le fil suit le cours des étoiles sur un fond aux couleurs du fleuve Ucayali. Un monde mythologique transféré sur le coton. Des motifs fluides émergent où s'entremêlent la liane Ayahuasca, le seigneur Anaconda et la grande boa. La pensée shipibo est métaphorique ; elle procède par analogie et établit un lien étroit entre les choses. Ce sont les femmes qui brodent ces rêves d'oiseaux, de serpents, de fleurs et d'étoiles en un tracé linéaire dont le graphisme vibratoire est l'un des traits spécifiques des Shipibo.

Une exposition d'oeuvres textiles et de quelques autres pièces collectées sur le terrain en 2005 par Sylvain Rivard, artiste ethnologue.