GUILDE CANADIENNE DES MÉTIERS D'ART
1460, rue Sherbrooke Ouest
Du 1er au 30 juin
Mardi à vendredi de 10h à 18h
Samedi de 10h à 17h
« Quand j'ai fréquenté l'université à la fin des années 1990 et au début des années 2000, un changement s'est produit en moi qui a modifié ma façon de voir mon peuple, les Cris. Depuis longtemps, je savais que les Cris s'adaptaient à un nouveau mode de vie depuis la signature de la Convention de la Baie James en 1975. C'est au cours de mes études que je me suis rendu compte que je détenais le pouvoir d'informer les gens sur ce que vivent les Cris et les privations qu'ils éprouvent. Ce réveil a interpellé ma production artistique ainsi que moi-même en tant que Cri.
J'ai obtenu un diplôme en arts plastiques à l'université Concordia. Grâce à ce programme et à d' extraordinaires professeurs, j'ai fait la connaissance d'artistes autochtones de talent comme Jane Ash Poitras, le regretté Carl Beam, Lawrence Paul Luxweluptun, Faye Heavyshield, entre autres. Ces artistes ont capté mon attention non seulement en fonction de leurs talents artistiques mais également à cause de leur engagement envers la communication de leurs pensées, leurs sentiments et leur vision des peuples indigènes du monde entier. Ces artistes transmettent ou ont transmis des messages puissants sur les questions et les identités autochtones actuelles. Ils et elles n'ont pas peur de dire au monde non autochtone ce que sont et ce que vivent les Autochtones dans la recherche d'une vie à eux. Ces grands artistes ont été source d'inspiration, et mon œuvre a changé pour toujours grâce à eux ; je leur en suis reconnaissant.
Armé des connaissances reçues des ces artistes autochtones contemporains et de leur art, et de ma volonté d'exprimer mes réflexions sur ma culture et mes traditions qui continuent de disparaître peu à peu, j'ai cherché à exprimer mon point de vue et mes idées sur les Cris et ce qui leur arrive à eux et à leur terre bien-aimée. Avec la conviction que mon art pouvait constituer un moyen de véhiculer des informations, des idées et des sentiments, j'ai commencé à m'exprimer à la fin des années 1990 en faisant appel à différentes techniques et styles artistiques.
La signature de la convention de la Baie James en 1975 a modifié le mode de vie des Cris pour toujours. Je le sais car je l'ai vécu de premier chef. La signature de la convention remonte à mon enfance et elle m'a touché de plusieurs façons.
Tout d'abord, nous avons acquis une dépendance à l'égard de la technologie des Blancs. Peu à peu, nous avons remisé nos chiens et nos traîneaux, et choisi la motoneige. Ensuite, avec l'arrivée de l'automobile, nous avons choisi de ne plus marcher. Avec la construction de maisons modernes à Fort-Georges, nous avons plié nos tentes et nos tipis, et l'arrivée de la télévision nous a rendu paresseux. Au cours d'une seule décennie, notre culture et nos traditions ont fini sur la banquette arrière de la voiture que nous venions de découvrir en nous baladant vers le sud, le long de la nouvelle route pavée en direction de Val d'Or.
La technologie des Blancs n'étaient pas le seul facteur dans ces changements qui découlent aussi de qu'ils ont fait à nos terres. Des milliers de km2 de terrains de chasse des Cris, ont disparu - notre « épicerie ». Les animaux se sont déplacés ailleurs, les poissons sont intoxiqués par le mercure. Les gens ont choisi de faire la commande à l'épicerie, parce que c'était plus facile. Par ailleurs, la chasse et le piégeage, autrefois essentiels à notre survie, ne sont plus que des activités sportives et non pas de survie. De ce fait, plusieurs Cris souffrent de diabète, car nous consommons une alimentation peu adaptée à nos systèmes biologiques. Plusieurs ne savent plus chasser, piéger ou pêcher, ou ne s'intéressent pas à ces activités importantes qui nous définissaient autrefois.
Pourquoi ? Parce que nous sommes devenus trop dépendants envers la technologie et les modes de vie des autres. Nous avons tout à fait oublié ce que nous sommes. « Iyuu ituun » ou « la voie crie » est disparue et quelque chose d'étranger a pris sa place, quelque chose que nous ne comprenons pas mais dont nous nous servons quand même.
Je n'ai rien contre la technologie ; je l'utilise à tous les jours, et je suis content de sa présence. Toutefois, ce qui me m'enrage est le fait que nous les Cris, dans notre empressement d'accueillir la technologie, avons oublié nos pratiques et nos technologies, qui étaient également efficaces. Nos anciennes pratiques et techniques étaient efficaces au point de nous fournir tout le nécessaire pour vivre et survivre en harmonie avec la nature et avec les autres. Et maintenant, face à la perte de la plupart de nos habitudes, nous cherchons désespérément une nouvelle identité. Plusieurs Cris ouvrent les bras à des traditions et cultures originaires d'autres tribus. Plusieurs parcourent des milliers de kilomètres pour ramener d'autres voies indiennes dans l'espoir de retrouver un sens de l'identité.
Je suis également en colère du fait que le gouvernement québécois regarde toujours vers le nord quand il a besoin de terres à exploiter. Ils montent ici, nous montrent les sous et ensuite, ils saccagent les terres sans penser aux retombées ou aux conséquences. Et mon peuple m'attriste. Nous nous empressons d'empocher l'argent que le gouvernement nous offre sans réfléchir sur les conséquences à court et à plus longs termes.
Nous autres, les Cris, semblons empressés d'accepter de l'argent en échange de territoires sans prix. Et qui paiera le prix de ces territoires perdus ? Nos enfants et leurs enfants à eux. Je sais que l'argent est important - il en faut pour s'en sortir dans le monde d'aujourd'hui, mais est ce que nous devons perdre une partie de notre territoire, une partie de nous-mêmes, en échange ? Nos dirigeants doivent trouver d'autres moyens d'assurer la prospérité de notre peuple.
Une autre question qui me tient à cœur est l'éducation en territoire cri. Avec tous les accords signés et nos efforts de nous adapter à ce nouveau mode de vie, je crois que nous avons mis l'éducation en sourdine depuis plusieurs années. Les jeunes de nos communautés n'apprennent pas comme ils devraient le faire.
Par rapport aux autres jeunes ici au Québec ou ailleurs au Canada, les enfants cris tirent de l'arrière quant aux apprentissages.
Les jeunes Cris sortent du secondaire et poursuivent des études post-secondaires où ils se rendent comptent qu'ils ont du mal et qu'ils devront accroître leurs efforts pour obtenir un diplôme au CÉGEP ou à l'université. La plupart décrocheront et rentreront chez eux, tandis que quelques-uns s'efforceront de réussir. Il faudra changer notre système scolaire si nous voulons faire en sorte que nos enfants, nos futurs dirigeants, obtiennent une éducation pertinente à l'avenir.
Ce sont les questions que j'aborde en tant qu'artiste. Ma mission est de communiquer les réalités cries à tous les gens qui veulent voir ou apprendre.
Mon travail artistique offre mon point de vue sur ces questions, mes idées, mes rêves, mes objectifs et ce qu'il faudra faire, selon moi, pour améliorer notre condition. Je discute des ces questions avec les gens de ma communauté et j'essaie toujours d'incorporer leurs idées et points de vue dans mon travail. Si je peux rejoindre une seule personne avec les messages que mon œuvre transmet, et la sensibiliser sur le vécu de mon peuple, alors ça vaut la peine. Comme artiste, je n'ai pas peur de dire ce que je pense. Je risque d'irriter certains, mais je sais que d'autres me sont reconnaissants de ce que je fais avec les couleurs et les toiles.
En fin du compte, les artistes ne doivent pas toujours peindre ou sculpter ce qui est beau. Les artistes ont de plus grandes responsabilités.
L'artiste doit évoquer les idées et les questions qui le tiennent au cœur et qui touchent les autres aussi. C'est important parce que les artistes disposent des talents et des capacités de le faire ; de ce fait, les artistes doivent utiliser ces dons à bon escient. Si les artistes ne le font pas, à quoi servent-ils ? »
Jean-Pierre Pelchat
À la Grande Bibliothèque
niveau 1, salle de la Collection nationale
475, boul. de Maisonneuve Est
Du 29 mai au 2 septembre
L'Indien de Hollywood ne hante plus les écrans. Une figure multiforme a pris sa place; un portrait plus juste d'une réalité complexe se déploie désormais, traversant les espaces médiatiques et y imprégnant les marques fugaces ou durables, les traits distinctifs ou brouillés d'une identité en constante évolution.
Entre la connaissance des traditions ancestrales et la maîtrise des codes mouvants de la modernité, l'artiste issu des Premières Nations est appelé à accomplir la synthèse d'éléments variés transmis par sa famille, par sa communauté ou encore, et avec force, par une société qui souvent lui apparaît étrangère. L'artiste élabore ses stratégies avec la minutie de l'araignée et la patience du chasseur. Tout lui est butin dans cette quête aux mille détours, qui finit toujours par le ramener à ce qu'il est et aux sources de ce qu'il cherche à accomplir. Rien n'est jamais dit que la vérité de celui qui parle. Tout est affaire d'identité.
Avec National Pastimes, Jim Logan aborde la relation difficile avec son père et son amour pour lui, qui ne pouvait s'exprimer qu'à travers leur passion commune pour le hockey. Chacun des sept tableaux de l'ensemble constitue une vignette saisissante de l'enfance; l'une fait voir la figure terrible d'un prêtre et rappelle la frayeur engendrée par les tristement célèbres « écoles résidentielles », tandis qu'une autre montre deux enfants arborant sur leur chandail les noms de Riel et de Dumont, présentés ici tels des héros. De la figure intime du père à celles historiques des chefs métis, Jim Logan affirme son appartenance avec une fougue qui exclut toute nostalgie; le regard est franc quand c'est le cour qui parle.
En 2001, Alexis Macdonald Seto a créé un livre d'artiste à tirage limité portant le titre Let's Find Out About Indians (Découvrons les Indiens). Ce livre est inspiré d'un manuel pour enfants publié en 1962 et découvert dans une vente de vieux livres. Devant les énoncés simplistes du manuel, un artefact du système scolaire, l'artiste ne cessait de penser aux photos de sa famille. En reliant les textes du livre à ses photos de famille plutôt qu'aux images kitsch et surannées d' « Indiens hollywoodiens », elle dresse un portrait plus juste de l'histoire, de la vie et des complexités d'une famille d'ascendance autochtone. L'identité se construit au sein de l'univers intime des relations personnelles. Face aux clichés persistants, l'humour fin d'Alexis Macdonald Seto révèle, avec élégance et générosité, quelques-uns des moments de vérité qui ponctuent son histoire personnelle où s'inscrivent les traits distinctifs qui la constituent en tant que femme des Premières Nations.
Avec Identity (crisis), Jean-Pierre Pelchat nous fait part de la découverte de son identité. L'oeuvre est construite à partir de symboles liés à l'histoire personnelle de l'artiste. À la fois Cri et Blanc par sa naissance, Pelchat rend compte ici de ses racines fortes, de son attachement à la culture des Cris. Au-delà des moments sombres où il se sentait perdu et dépourvu du sens de son identité, Jean-Pierre Pelchat dresse un autoportrait qui est en soi une puissante révélation des sources où s'abreuvent son art et son engagement pour les siens. D'un seul coup d'oil, nous percevons où il loge; l'oeuvre n'est pas recousue de fil blanc.
Autour de Tsehaweh, la porteuse de lumière, Christine Sioui Wawanoloath nous présente un monde peuplé d'esprits, d'animaux mythologiques, de pêcheurs de perles et d'autres déesses rouges. Chacune de ces sculptures ne serait-elle qu'un leurre placé sur notre route par un esprit espiègle afin de nous détourner de nous-mêmes et ainsi de nous arracher à nos certitudes ? Et si toute cette quête identitaire n'était qu'un tour de plus joué par la fatalité ? Et si l'identité ne tenait qu'à un nom ? Tsehaweh et Sioui, Sioui et Tsehaweh: le mystère est résolu ; il s'agit bien du même mot désignant celle qui porte la lumière. C'est en cherchant à la racine de son nom que Christine Sioui Wawanoloath a trouvé ce qu'elle est ; son identité est à la fois affirmation et révélation.
Les deux oeuvres de Maria Hupfield semblent poser la question de l'identité selon des perspectives opposées. Avec Made in Kanata, elle aborde avec ironie les clichés qui relèguent tout ce qui concerne les Premières Nations à quelques artefacts ou pratiques étudiés et classifiés selon un ordre qui leur est somme toute étranger. Sagement alignées sur leur corde à linge, les figurines faites de pinces à linge peintes et leur sac de médecine ramènent à la constante nécessité de changer nos perceptions : la quotidienneté comme remède suprême aux mythologies trompeuses.
Quant à Spirit Catchers, qui joue sur plusieurs plans d'interprétation, il faut voir en chacun de ses treize éléments une brillante synthèse des déchirements et des rapprochements propres à tout questionnement identitaire. Chaque image se présente comme le dilemme résolu d'un être bien réel. L'ensemble de l'oeuvre est une réflexion sur l'expérience indigène. Chacun des visages photographiés de face, sans artifice, est recouvert d'un transparent où est imprimée la représentation d'un vêtement traditionnel; les pièces sont ornées de broderies, de tressage ou encore de rubans et de franges. Loin d'être une démonstration de la lourdeur du passé, l'oeuvre produit un résultat paradoxal, fait d'équilibre entre légèreté et gravité, entre humour et tendresse ainsi qu'entre jeu et responsabilité. L'extrême fragilité de l'oeuvre contient à la fois sa force, son originalité et sa poésie.
Tracey Deer a tenu à inclure, dans l'exposition, les oeuvres de Walter Kahero:ton Scott, de Kahnawake, dont l'approche et les préoccupations semblent répondre aux siennes. Ce jeune artiste aborde la notion d'identité de manière bien concrète; devant la figure archétypale de l'« Indien à plumes », les modes ou encore l'adoption de pratiques culturelles étrangères aux Premières Nations, l'autochtone contemporain ne peut se satisfaire de symboles culturels pour se définir en tant qu'être. Pour Scott, l'affirmation identitaire est davantage un état d'esprit, fièrement partagé par un groupe donné, plutôt qu'une attitude nostalgique envers le passé ou une course effrénée vers la prochaine mode. Son travail est un hommage aux jeunes Mohawks et une célébration de cet esprit qui les anime, autant personnellement que tous ensemble.
L'exposition Parcours identitaires ouvre aux visiteurs un réseau de pistes et de signaux dévoilant une quête identitaire aux multiples ramifications. Les oeuvres sélectionnées par les commissaires dans les collections du Centre d'art indien et inuit du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien suscitent la réflexion sur la spécificité autochtone d'aujourd'hui. L'exposition devient ainsi une trame de conversations croisées rappelant que l'identité est une oeuvre ouverte en constante transformation.