Les prix du concours de jeux d'échecs
autochtones | Photos
Suite à l'invitation lancée
par Terres en vues aux artistes et artisans des Premières Nations
à créer un jeu d'échecs original, sept propositions
ont été retenues.
Des mondes fabuleux se déploient
sur les échiquiers qui représentent tantôt la Terre-Mère,
tantôt la voie lactée. Des forces surnaturelles s'y opposent
ou encore des éléments naturels tissent des trames harmonieuses
qui viennent détourner le sens premier du jeu. Entre les mythologies
des Wabanaki, les trois surs des Mohawks et les tentes tremblantes
des Innus, la force et la vigueur de ces cultures pérennes éclatent
au grand jour.
Les sept jeux d'échecs exposés
à la Bibliothèque nationale du Québec répondent
admirablement aux critères de sélection dont les artistes
et artisans devaient tenir compte. Les jeux devaient s'inscrire dans
l'univers autochtone et refléter cette appartenance soit par
les matériaux utilisés soit par la thématique.
Les réponses à ces critères ont gardé une
importance égale au brio d'exécution lors de la sélection
des gagnants.
Le troisième prix,
d'un montant de 400 $, est attribué à Jacques Néwashish,
Atikamekw de Wémotaci. Son approche du projet, impliquant des
membres de sa communauté pour certaines parties du jeu correspond
bien à la démarche sensible de cet artiste engagé.
Sa conception d'un jeu " nomade ", pouvant aisément
prendre sa place parmi les effets transportés en canot, son souci
d'y illustrer une légende où des clans se disputent le
privilège d'être les gardiens de la terre, nous fait entrer
dans l'univers culturel atikamekw comme si nous faisions partie du voyage.
Le
deuxième prix, d'un montant de 600 $ est attribué
à Christine Sioui-Wawanoloath, Abénaquise. La mythologie
des Wabanaki nous est dévoilée avec précision et
raffinement. Chacun des personnages qui peuplent cette genèse
de la création est porteur des signes qui en font un être
bienveillant ou malveillant. La délicatesse du travail et la
subtilité des ajouts de nacre confèrent à ce jeu
une élégance remarquable, qui, couplée à
la patiente recherche sur la spiritualité wabanaki, font de ce
jeu, grave et fantaisiste tout à la fois, une uvre complexe
dont la richesse ne s'épuise pas d'un seul regard.
Le premier prix
a séduit par sa force tranquille et la profondeur du propos qu'il
illustre. Les oppositions entre les spiritualités des Innus et
des prêtres catholiques prennent ici une forme dramatique. Le
jeu d'échecs devient le lieu des tourments et de l'admirable
résolution des angoisses que l'art peut être parfois. La
sincérité du texte de l'artiste et la grande sensibilité
qui sous-tend l'uvre, de sa conception à sa réalisation,
élèvent ce jeu d'échec au niveau des uvres
d'art authentiques. Terres en vues est fier d'avoir suscité un
tel élan de créativité chez Anisheniu (Jean-Pierre
Fontaine), Innu, et de lui offrir ce chèque de 1000 $ en tant
que premier prix.
Le jeu d'un Innu |
Jean-Pierre Fontaine (Anisheniu)
Le caribou, très répandu dans le nord,
est l'animal sacré des Innus. Il est la base de leur subsistance
dans le bois; l'alimentation, la confection des vêtements et des
mocassins ainsi que la fabrication des outils traditionnels dépendent
des chasses fructueuses.
Chacune des pièces du jeu d'échecs a été
soigneusement sculptée dans des os de caribou.
Le socle des pièces est recouvert d'une peau nettoyée
à l'aide d'outils taillés dans le tibia de l'animal, puis
est tannée et fumée selon la méthode ancestrale.
Le combat qui se livre sur l'échiquier symbolise
la rencontre historique entre la culture traditionnelle des Innus et
la religion apportée par les missionnaires lors de l'arrivée
des européens sur le continent.
Il faut savoir que ce combat a réellement eu lieu dans le passé
puisque l'Église a rejeté de façon catégorique
les croyances et les objets de rituel que les Innus utilisaient depuis
des temps immémoriaux.
Cette symbolique se retrouve sur les pièces du jeu et sur leur
base en peau de caribou sous forme de peintures primitives.
Anisheniu (Jean-Pierre Fontaine)
LE JEU D'ÉCHECS " KLOOSKOMBE
" | Christine
Sioui Wawanoloath
Tous les personnages et animaux fantastiques
sont tirés des mythes entourant le fabuleux Klooskombe dans la
tradition des Wabanaki.
Des héros mythiques s'affrontent. Certains sont
bienveillants alors que d'autres sont maléfiques. Klooksombe protège
et conseille les humains alors que Malsum, son frère jumeau à
tête de loup, s'amuse à créer des animaux nuisibles.
Ils règnent sur l'échiquier de la création. Des mondes
s'y déploient pour aussitôt se refermer au gré des cataclysmes
et des transformations.
Et lorsque que le jeu même se transforme en collier, quels est le
pouvoir secret des pièces sinon celui d'envoûter ?
KLOOSKOMBE - NOGAMI
(ROI) Klooskombe est le principal héros mythique de la culture
Wabanaki. Il apprend aux humains les noms des constellations, la technologie
et la philosophie. Il est leur défenseur et leur conseiller.
(REINE) Nogami possède toute la sagesse du monde. Elle est l'ancêtre
de Klooskombe.
TEGOAK - AKI
(FOU) Tegoak veut dire vague en Abénaki. Le premier homme est né
de l'écume de la vague.
(FOU) Aki veut dire Terre en Abénaki. La première femme
est née d'une plante terrestre.
TOLBA
(CAVALIERS) Tolba veut dire Tortue en Abénaki. Dans le monde de
Klooskombe, la tortue est une amie et une grande conteuse d'histoire.
PADÔGI
(TOURS) Padôgi veut dire Tonnerre en Abénaki. L'oiseau de
tonnerre protège les humains. Il a accès aux sphères
célestes.
MEGUMOOWESOOS
(PIONS) Les Megumoowesoos sont des petits esprits de la nature. Ils sont
très poilus et jouent de la flûte enchantée.
MALSUM - POOK-JIN-SKWESA
(ROI) Malsum est le frère jumeau de Klooskombe dont il est jaloux.
Il a un corps humain mais une tête de loup. Il s'amuse à
créer des animaux nuisibles et à défaire les uvres
de Klooskombe.
(REINE) Pook-Jin-Skwesa est une sorcière ennemie de Klooskombe.
Elle réussit à le faire captif sur une île.
LOX - KEEGANIBE
(FOU) Lox est la créature maléfique de Malsum. Physiquement
il est un mélange de trois animaux.
(FOU) Keeganibe est un animal marin à aileron dorsal comme une
voile. Une méchante fille se transforme en Keeganibe sur l'ordre
de Klooskombe.
PARSARDOKEPPIART
(CAVALIERS) Parsardokeppiart est le nom donné au mammouth. Il ne
veut pas rétrécir sa taille à la demande de Klooskombe.
Un cataclysme le disparaître à tout jamais de la surface
de la terre.
SKOG
(TOURS) Skog est un mot Abénaki pour serpent. Klooskombe combat
un serpent géant qu'on appelle aussi dragon ou monstre.
WEEWILIMECQ
(PIONS) Le Weewilimecq est un petit ver magique qui porte des cornes.
Il peut se transformer en une variété de serpents.
Les gardiens de la terre | Jacques
Néwashish
" Il y longtemps tous les êtres
étaient des esprits. La terre existait déjà et elle
était comme un paradis. Il y avait des prairies, des forêts
des lacs et des rivières ainsi que des montagnes qui touchaient
le ciel. Mais aucun homme ni aucun animal ne la peuplaient. L'esprit qui
avait créé la terre voulut la protéger. Il inventa
un jeu où des clans s'affronteraient afin de déterminer
lequel serait le gardien de la terre. "
Jacques Néwashish, Atikamekw
de Wémotaci
Pour certains Autochtones, le ciel, ou plus précisément
la voie lactée, est représenté par un damier dont
les cases contiennent une croix. Les croix symbolisent les étoiles.
L'échiquier de Jacques Néwashish est fait de perles brodées
sur une peau d'orignal par une femme de sa communauté. La partie
se joue sur ce ciel étoilé. Les pièces stylisées
taillées dans un panache d'orignal rappellent quelques uns des
animaux qui se partagent les grandes forêts des Atikamekw.
L'échiquier peut être enroulé, les pièces bien
à l'abri dans leur sac brodé, le jeu trouve place dans un
panier d'écorce décoré des motifs floraux propres
aux peuples algonquiens. Il est ainsi aisément transportable dans
un canot au même titre que les objets usuels dont se servent les
Atikamekw, traditionnellement nomades, lors de leurs déplacements
saisonniers.
Écorce d'hiver et écorce d'été
| Aaron York
Aaron York est Abénaki et fabriquant
de canots d'écorce. Ses personnages, tirés de la mythologie
abénakise, habitent un paysage que nous connaissons bien. Son Gluskomba,
qui nous rappelle le Klooskombe de Christine Sioui, a donné forme
au territoire de sa nation, du lac Champlain jusqu'aux côtes des
Martitimes. Gluskomba est en quelque sorte la main du Créateur
et quand il eut terminé son travail, il a pris la forme d'un rocher
que l'on peut encore apercevoir dans les eaux du lac Champlain.
Pour Aaron York, le jeu d'échecs,
de par ses matériaux et sa fabrication, rend grâces aux esprits
qui le protègent. Sa connaissance des particularités de
l'écorce de bouleau selon les saisons est ici mise à profit.
L'échiquier, dans l'alternance des clairs et des foncés,
rend toute la finesse de l'artisan soucieux de ne pas trahir l'âme
de ses matériaux. Des clous de cuivre, de l'érable piqué
de la vallée de l'Outaouais et du cuir d'orignal viennent compléter
l'ouvrage.
Les figures et personnages sont gravés
sur l'écorce de la manière dont étaient décorés
les canots. Aaron York a choisi de représenter un monde où
les forces en présence nous parlent d'harmonie et de paix. Les
esprits veillent.
... entre nouveauté et pérennité
| Tom Bulowski
Le questionnement identitaire propre à la jeunesse
est tout entier contenu dans les cases de l'échiquier de Tom Bulowski.
Une sorte d'errance paradoxale couplée à une envie irrésistible
de s'accrocher dans ses racines donne à son jeu un aspect d'inachèvement
qui n'est pas sans fraîcheur.
L'unité matérielle de l'ensemble des pièces
du jeu est brisée, d'un côté comme de l'autre, par
l'envol des cavaliers fabriqués par assemblages de mâchoires
et de dents de castor. Ces cavaliers agissent ici comme des révélateurs,
des capteurs de sens qui éclairent les autres figures et en font
des signes au bord de l'obsolescence mais dont les derniers éclats
retentiraient comme des cris.
C'est à sa grand-mère algonquine d'Abitibi
que le très urbain Tom Bulowski a fait appel pour les broderies
sur peau et les ossements de son jeu. C'est là, entre la fragilité
des certitudes nouvellement acquises et la sagesse issue d'une culture
pérenne que se joue la partie toujours recommencée de l'identité.
La traversée de l'Amérique
| Steve McComber (Silver Bear)
Steve McComber (Silver Bear) est Mohawk de Kahnawake. Il
est sculpteur et danseur, trouvant équilibre et unité entre
la passivité de la pierre et la gestuelle mesurée des danses
traditionnelles. Il aborde son jeu d'échecs à la manière
d'une chorégraphie complexe qui se déploie dans l'espace
et la durée, depuis les mythes fondateurs jusqu'au temps présent.
Pour les Mohawks, l'autre nom de l'Amérique est l'Île de
la Tortue. Ainsi l'échiquier, inspiré d'une carapace de
tortue, devient l'Amérique. Steve McComber y a placé les
Mohawks à l'est et à l'ouest la nation Kwakwaka'wakw de
l'île de Vancouver. Le jeu d'échecs est moins ici la représentation
d'une guerre que l'illustration d'une rencontre et d'échanges qui
ont eu lieu entre ces nations autour de leur tradition respective.
Entre la pierre et le bois, entre les figures emblématiques
de cultures de prime abord éloignées et entre leurs mythologies
fondatrices, Steve McComber a tissé une trame sensible dont les
fils forment un réseau organique d'amitiés partagées.
Comment les Naskapis ont hérité de leurs
noms | Allan Grégoire
Dans les mots d'Allan Grégoire cette histoire de
nom prend un sens particulier. Son jeu d'échecs raconte une guerre
ancienne entre les Inuits et les Innus. Ces peuples se disputaient les
territoires du Nord. Les Innus cherchèrent de l'aide du côté
des Nenenots, les hommes au visage rouge. Ceux-ci acceptèrent de
faire la guerre aux Inuits. Mais à la dernière minute, ils
s'allièrent avec les Inuits pour attaquer les Innus. C'est ainsi
que les Nenenots devinrent les Naskapis, ce qui signifie, selon Allan
Grégoire, les durs ou les traîtres.
Allan Grégoire est Naskapi et il vit présentement
chez les Innus de Mashteuiatsh. Son jeu est affaire de mémoire
et d'identité. Au-delà des guerriers ennemis qui s'affrontent
sur l'échiquier de pierre, le sculpteur a voulu y inscrire une
histoire que la fureur du combat ne réussira pas à effacer.
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